Au fil de l'autre

Carnet de notes de mes explorations: filage, tissage et teintures
  

Obtenir de beaux noirs en teinture végétale, sans fer

1.11.2023 S'annonce bientôt un nouveau week-end de teintures végétales, biannuel, où je teins en séries. Je voudrais enfin, méthodiquement, rigoureusement, travailler pour obtenir de beaux noirs plutôt que de l'anthracite. Pistes d'infos.


Cela vous arrive d'être fatigué de vous-même? Moi, c'est tous les jours, mais surtout à cette saison-ci. Après un petit coup de déprime automnal, auquel je suis habituée désormais, nouvelle résolution: à défaut d'être parfait, soyons méticuleux. Je ne suuuuuppporte plus de multiplier les activités, sans les approfondir. Je ne ME supporte plus dans cette posture. Ceci dit avec le sourire d'une Bridget Jones de Nivelles, puisque le coup de blues est passé grâce à mes petites lunettes luminette.

Rigoureux: je suis; méthodique: je suis. Mais ces deux qualités ne sont rien si la méticulosité n'est pas là pour les soutenir. Je suis si pressée de courir après mille activités que je bégaye: j'essaie un truc (que je documente, que je mesure), mais sans prendre le temps de peaufiner. Je saute à un autre test en peinture, en tissage, en cuisine...

Entre ici, nouvel être méticuleux et ton cortège de bonnes résolutions.

Je documenterai ce que cela a donné en couture (une veste doublée et passepoilée, intégrant des tissages perso).

En teinture végétale, je vais travailler les noirs, méticuleusement.

La doc historique propose soit de combiner gaude, garance sur un pied d'indigo très foncé; soit d'utiliser un post-bain de de sulfate de fer sur le même mélange ou sur une base de campêche et sumac. En effet, le fer révèle sous forme assombrie les tanins qui seraient dans le tissu: un tissu mordancé aux tanins puis teint en garance et passé dans un bain de fer passera du rouge au grenat brunâtre; teint en campêche à 50% PTS, subissant le même bain de fer (5%) et de galles (10%), le tissu passerait de mauve ou bleu foncé à noir.

Hélas! Le fer abîme la laine et la soie. Les cellulosiques le supportent mieux. Je pars donc sur la solution: pied d'indigo foncé et bain de garance dense (>100%), suivi de gaude dense.

Micky Schoelzke

Première source d'infos pour vérifier les bases: la mirifique Micky, dont deux articles documentent sa recherche du noir sans utiliser le fer:

Article 1: les composants pour obtenir le noir


Article nr 2; photo de draps sergé et satin


J'ai déjà présenté Micky Schoelzke ici.


Dans ses expérimentations, Micky procède différemment de nos anciens, qui teignaient d'abord un pied d'indigo, puis mordançaient avant de teindre en garance et enfin en gaude (sans remordancer entre ces deux dernières étapes). Elle commence par la garance:

" Pour mieux contrôler la teinte finale, je fais la teinture en rouge concentré en premier pour le moment, en tout cas sur les draps de laine." (...) "Je n’ai pas encore l’œil assez exercé pour faire un « pied » (une base) de bleu assez foncé pour obtenir directement du noir par garançage sur bleu."

Micky ne donne pas de grammage. Je suis contre la gramm-attitude, en cuisine ou en teintures, mais un débutant apprécie les quantités, lorsqu'il approche une nouvelle technique. Je divulgache la fin de l'article: je me baserai sur un dosage vu chez Liles, càd 12% de garance et 25% de gaude sur un indigo très foncé, mordancé selon fibre.

Les noirs chez Michel Garcia

J'ai vu et annoté tous ses DVDs chez Slowfiber studio ou les plus récents ateliers chez Olga. Je n'ai pas noté le noir, je n'en ai pas le souvenir non plus. je lui demanderai.

J'ai cherché sur son compte fb et trouvé

 

NB. La pectine dans la cuve d'indigo sert à protéger la laine de l'alcalin, comme la gélatine animale le faisait antan.

Lors d'un de nos échanges sur fb, pour teindre la soie, il avait écrit: "Un bleu fort d'abord, puis un passage en son de blé, puis on rince et on fait (pour la soie, c'est mieux), un bon mordançage à l'alun, à froid, pendant 6h minimum, à 25% d'alun, puis on teint en garance, et on finit en bain de jaune ( traditionnellement c'est la gaude, mais on peut essayer autre chose)".

De belles démonstrations, mais pas de grammage non plus. Continuons les recherches.

Les noirs chez Dominique Cardon

J'achète tous les livres de Dominique Cardon, je fais de même pour tous les DVDs de Michel Garcia. Pour soutenir la famille!

Dans son "Monde des teintures végétales", une encyclopédie (abréviation MTV), très peu sur le noir d'indigo. Page 361 de la version anglaise: une référence à Janot, qui combine à du sulfate de fer
Plus sur le noir de campêche, pages 270 et suivantes de la version anglaise

  • noir de Sedan: campêche, sumac, sulfate de cuivre sur fond indigo
  • noir de Bédarieux: campêche, fustic, redoul( pour tanins), sulfate de fer
  • noir de Montauban: campeche, sumac, fer, cuivre

Je testerai la recette de Knecht: 50% campeche ("40 à 100%"), 10 jaune ("fustic") 5 sulfate de fer, 1-2 sulfate de cuivre qui oxydera l'hématobrol de la campêche. Pas de sumac indiqué dans la recette? J'ajouterai quand même des noix de galles. L'omission est peut être due à la traduction. Je pratiquerai le bain de fer à froid, sur 12 heures, en sulfate sur laine ou en acétate sur cellulosiques ou soie.

Dans son Le cahier de couleurs d'Antoine Janot, je lis la recette de Janot pour un noir intense: un pied de bleu turquin (bleu grès foncé), un mordançage de 16% d'alun, 2% de crème de tartre (inutile pour nous, qui travaillons avec des eaux épurées) et 5.5% de son (idem), puis un bain de garance (taux non indiqué), suivi d'un poste bain à base de 12% de galles, de 8% de campêche et de 24% de fer. 24%!!! Je le veux, mon neveu, que le noir soit bien noir, tiens. Comment neutralisaient-ils les dégâts du fer sur la fibre? Paul Gout renforce un bain de 28% de campêche, 12% de fustic, 4% de garance, du tanin (redoul, 8%) avec 4% seulement de sulfate de fer.

A mon souvenir (à vérifier), 5% est considéré la limite maximale pour la laine. Je ne sais si c'est à froid ou en bain très chaud, ce qui change la donne. Dans mes expérimentations en bains alcalins à la Jenny Dean, à froid, j'ai joué de hautes doses de fer et la laine s'en trouve toujours bien, trois ans après.

 

Un tableau synthétique des sources anciennes, dans le Des Couleurs pour les Lumières de Cardon:

 

Les noirs chez J. N. Liles

Mon livre chouchou, qui, comme Cardon, nous évite de devoir plonger dans les livres anciens: celui de Liles. Un bel inventaire de ce qu'il a utilisé pour des reconstitutions historiques américaines, transmis avec la rigueur d'un scientifique (zoologiste, de mémoire).

On retrouve chez lui quantité de noirs avec fer, mais aussi une recette simple: produire un marron en noyer (noyer d'Amérique, le noyer commun ne donne que des fauves) et surteindre en indigo - page 177. Pas besoin de préséance de l'indigo ici, puisqu'il n'y a pas de mordançage.

Une recette similaire pour soie, mais avec fer: préteindre en cachou dense (24%! alors que c'est déjà un extrait...), puis bain de fer (12%) pendant 30 minutes puis bain de campêche 50%. Détails page 188.

Une recette de Hellot, à la campêche, sans fer , mais au cuivre, à base de couleurs primaires: jaune, bleu foncé de campêche, rouge de garance. On part d'une fibre teinte en jaune moyen après avoir été mordancée en alun tannin alun. On teint dans un bain de campêche (50%) et garance (25%), auquel on ajoute 6% de sulfate de cuivre. Détails page 191.

La recette classique à base d'indigo (page 190): 1/ indigo bleu foncé - 2/ alun tanin alun (ATA) pour coton, lin ou soie; alun et crème de tartre pour laine - 3/ 12% garance et 25% de fustic (jaune). On peut bien sûr remplacer le ATA par l'acétate d'alun maison selon la recette de Michel Garcia.

Liles utilise le noir comme sauvetage de ses teintures ratées: "Dye failure blacks".

Je testerais bien le "common old wool black" au cuivre et infimes doses de fer: 12% de cuivre, 0,7% de fer (une poussière) - 1 heure - puis bain dans un jus de campêche (50%) et de fustic (12%), jus produit en une heure de frémissements: 30 minutes - ajout de 3% de sulfate de fer: 30 minutes. Détails page 192.

A noter: Liles reprend souvent les procédés des Anciens. Or, les exigences d'un industriel (coût, énergie, temps de travail) ne sont pas identiques à celles de hobbyistes. Je peux par exemple teindre en semibouillon (tremper l'écheveau à chaud, couvrir la casserole, emballer d'une couverture et attendre le lendemain), ce qui était exclu en industrie. Je peux laisser tremper la laine à froid dans un post-bain de fer, une nuit, plutôt que cuire 30 minutes. J'ai déjà relaté la reconstitution expérimentale par un chercheur allemand d'une technique similaire turque.

Pour mémoire, Liles utilise de l'acide tanique - en général 30g pour 500g de fibres. L'équivalent

  • en noix de galles = fois dix, soit 300g (60%)
  • en cachou ou tara = fois deux, soit 60g (12%)
  • en feuilles de sumac séchées = fois 4, soit 120g (24%)
  • en myrobolan 100%.

 

Les noirs sur les blogs

Je consulte le blog de Catharine Ellis une fois par mois, comme celui de Jenny Dean ou de Micky (précité).

Lire chez Ellis: https://blog.ellistextiles.com/2021/07/17/black-an-improvisation/. Elle combine indigo avec garance et gaude, parfois remplaçant la garance par du cachou ou du noyer d'Amérique. La photo de tissu (qui semble être du coton) montre en fait un seul noir, le reste est ce que j'ai obtenu jusqu'ici: des tons très foncés mais pas noirs.

Pour le noir de fer sur les cellulosiques, elle conseille l'acétate de fer (la soupe de clous) plutôt que le sulfate de fer, qui est plus acide. Confirmé par Michel Garcia, sur fb, lors d'un échange: Vitalis préconise l'acétate de fer pour la soie, cela n'abîme pas la fibre. On fait de l'acétate à partir de sulfate de fer en le combinant à la soude et au vinaigre". Voir la recette ici.

En profiter pour revoir ses tests de tons de "noirs" selon les noix de galles

Et le résultat sur la teinture en garance et gaude, ce qui confirme son habitude de travailler les galles d'Alep:

Les noirs dans les livres anciens

Grâce à googledocs ou Gallica.fr, on peut consulter d'anciens manuels de teinturiers, souvent industriels du XIXè s. (à prendre avec des pincettes, donc, car c'était le règne de la chimie pure).

Voir ma page ad hoc. Je regarde parfois pour rêver, mais quand je veux être efficace je me contente des résumés chez Cardon et chez Liles.


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